Chapitre 25

 

Le sourire du Jäger s’élargit quand il se rapprocha de moi. Je reculai d’un pas en levant le Taser. J’ai de bons réflexes mais je ne suis pas aussi rapide qu’un démon. Avant que j’aie une chance de tirer, der Jäger fit voler le Taser d’un revers de la main, l’envoyant à l’autre bout de la pièce. Je fis marche arrière mais il ne me suivit pas immédiatement.

— Nous nous retrouvons, dit-il en se courbant d’un air moqueur. J’étais déçu que nous n’ayons pas pu finir notre petite… discussion.

— Oui, moi aussi, dis-je en me dirigeant vers le Taser qui reposait par terre près du canapé.

Der Jäger avait détruit les esprits de ses hôtes précédents. Mon estomac se crispa quand je compris que, selon toute probabilité, mon père était officiellement un légume.

Est-ce que papa avait volontairement accepté d’être possédé par der Jäger tout en sachant ce que ce démon prévoyait de me faire ? Je secouai la tête. J’avais nourri pas mal de mauvaises pensées à l’égard de mon père et je ne lui pardonnerais jamais de m’avoir livrée à Cooper et Neely, mais je refusais de croire qu’il s’était donné de lui-même à un démon psychopathe. C’était un fanatique mais il avait quand même un fond de décence.

Ma gorge se serra quand le chagrin essaya de m’arracher des larmes. Je luttai, je n’avais aucune envie de donner la moindre miette de satisfaction au Jäger.

— Dis-moi, dit der Jäger en souriant toujours, est-ce que c’est un vrai nom que tu m’as donné ou tu l’as juste inventé ?

Je fis un nouveau pas vers le Taser. Der Jäger me laissa faire comme s’il n’avait pas remarqué ce que je préparais. Mon intuition me hurlait qu’il s’amusait avec moi. Je ne voyais pas d’autres options porteuses d’espoir.

— Je t’ai dit la vérité, dis-je. Mais comme je ne sais pas où se trouve Peter Bishop, il n’y a rien d’autre que je puisse t’apprendre. Même si je le voulais.

Ce salopard arrogant ne m’empêcha pourtant pas de progresser vers le Taser. L’espoir me transperça. Peut-être était-il à ce point arrogant que je pourrais le lui faire payer.

— Comment va ton doigt ? demanda-t-il ; je me figeai.

Merde ! J’avais enlevé les bandes avant d’aller au lit avec Brian et il ne m’était pas venu à l’esprit de les remettre pour voir mon père. Der Jäger pouvait constater de ses propres yeux que mon doigt n’était pas blessé. Quelles étaient les chances qu’il ne devine pas ce que cela impliquait ? Son sourire me fit comprendre qu’elles étaient nulles.

Der Jäger pencha la tête, les sourcils froncés.

— Comme c’est étrange, dit-il. De toute évidence, tu héberges encore Lugh et pourtant je ne le sens pas du tout sur toi. Pourquoi donc ?

Je bondis vers le Taser, espérant que la perplexité du Jäger le distrairait momentanément.

Son corps percuta le mien avec la force d’un camion Mack et nous tombâmes tous les deux par terre. Le poids du Jäger me coupa le souffle, me volant un cri de douleur, et nous atterrîmes au sol avec fracas. Comme j’étais face contre terre, je relevai la tête d’un coup sec et mon crâne percuta violemment son nez. J’entendis le cartilage craquer et sentis le flot chaud et collant du sang sur ma nuque.

Der Jäger ne semblait pas se préoccuper de la douleur mais il fut néanmoins surpris et je fus en mesure de me débarrasser de lui. Je tendais la main vers le Taser, mes doigts le frôlant presque, quand der Jäger m’attrapa par la cheville et me tira en arrière. Le mouvement envoya balader le Taser qui glissa par terre, de nouveau hors de portée.

La porte de la chambre s’ouvrit et mon cœur cessa presque de battre quand je vis Brian se précipiter vers nous.

— Non ! hurlai-je, la terreur soudaine m’empêchant de formuler une protestation plus cohérente.

Pourquoi les hommes ressentent-ils toujours le besoin de venir à votre secours quand ils savent qu’ils sont en position de faiblesse ? Si nous survivions tous les deux, je me fis la promesse intérieure d’avoir une longue et sincère discussion avec Brian concernant son complexe déplacé de héros.

Mon propre cri de détresse fut également une erreur. Malgré le sang qui se répandait de son nez cassé et déformé et qui recouvrait son visage, je pus voir le sourire vicieux du Jäger. Il lâcha ma cheville pour se diriger vers une autre cible. Je me jetai sur lui et l’entourai de mes bras bien que je sache ne pas avoir la force de le maîtriser.

— Brian, va-t’en ! criai-je. Sors de là !

Mais ce maudit empoisonnement aux testostérones n’allait pas le laisser m’abandonner pour combattre seule le Jäger. Au lieu de fuir, Brian se rua dans la bataille. Il suffirait d’un contact peau contre peau pour que der Jäger prenne possession de l’homme que j’aimais. Et le détruise.

Pas question que je laisse ça se produire ! Der Jäger avait déjà emporté mon père. Je refusais de perdre également Brian.

En désespoir de cause, je tentai d’ouvrir les portes de mon esprit à Lugh. Après tout, der Jäger savait déjà que je l’hébergeais, il n’y avait donc plus aucune raison de le cacher. La douleur me poignarda la tête mais, bien que je m’efforce de laisser Lugh prendre le contrôle, mon corps et mon esprit restaient obstinément liés.

Se défaisant facilement de mon étreinte, der Jäger bondit pour contrer la charge de Brian. J’étranglai un cri de désespoir.

Der Jäger fit un pas de côté, tel le matador qui esquive un taureau enragé. Écarquillant les yeux de surprise, Brian essaya de freiner. Il passa sa main droite sous sa chemise pour y prendre le pistolet hypodermique. Il aurait dû le dégainer aussitôt mais je suppose que ce geste n’est pas instinctif chez un avocat d’affaires, surtout quand il vient tout juste d’acheter ce fichu truc.

Avant que sa main trouve le pistolet, der Jäger rattrapa Brian et le tira contre son torse en lui clouant les bras sur les côtés. Comme la chemise de Brian était à manches longues, il n’y eut tout d’abord aucun contact de la peau. Pas avant que der Jäger pose sa main sur la gorge de Brian et commence à serrer.

Les yeux exorbités, Brian luttait pour aspirer l’air dans ses poumons. Cependant, il respirait et, puisque mon père ne s’était pas effondré par terre, der Jäger n’avait pas encore pris Brian. Bien sûr, pourquoi le ferait-il alors que mes réactions venaient de révéler quel excellent otage celui-ci ferait ?

Je n’osais plus bouger ni respirer, je restais figée par terre, une main tendue vers Brian en maudissant le destin qui m’avait placée une nouvelle fois dans cette situation cauchemardesque. Le Taser reposait près des pieds de la table de la salle à manger et je n’avais aucune chance de mettre la main dessus. Ma tête cognait mais, comme Lugh n’était pas en mesure de m’aider maintenant, je résistai à sa pression. Il savait à quel point Brian comptait pour moi et il ferait de son mieux pour le protéger. Cependant, je savais que, dans le grand ordre de l’univers, Lugh considérerait qu’on pouvait se passer de Brian. J’étais incapable de raisonner ainsi, aussi valait-il mieux que je garde le contrôle, même si je ne savais pas ce que j’allais pouvoir faire pour nous sortir de là.

— Dois-je prendre un nouvel hôte ? demanda der Jäger, ses yeux dilatés par l’excitation pendant que Brian se débattait en vain.

Je déglutis en tremblant de tout mon corps.

— Je t’en prie, non, dis-je d’une voix frémissante. Je ferai tout ce que tu veux. Je te dirai tout ce que tu veux savoir. Laisse-le partir.

Comme si je croyais qu’il y ait une chance que cela arrive !

Le regard du Jäger s’embrasa dans un sourire jubilatoire.

— Je savais que tu pouvais devenir raisonnable. Tiens-toi bien et il se pourrait que je laisse ton petit ami partir.

— Laisse-le partir maintenant !

Il éclata de rire.

— Pourquoi le ferais-je ?

Je regrettai de ne pas trouver de réponse intelligente mais mon cerveau était uniquement concentré sur la menace qui planait sur l’homme que j’aimais. Le sentiment amoureux minait la moindre once de logique dans mon esprit et je piétinais comme une imbécile. Lugh força une nouvelle fois et je lui montrai intérieurement les dents pour qu’il laisse tomber. Pas question que je le laisse prendre le dessus, c’était mon dernier mot.

Cette douleur fulgurante sembla m’aider à concentrer quelques-unes de mes cellules cérébrales et je trouvai la force de répondre à la question du Jäger.

— Parce que si tu ne le laisses pas partir maintenant, je sais que tu n’auras jamais l’intention de le laisser partir et je n’aurai alors aucune raison de te répondre.

Der Jäger s’esclaffa.

— Et si je le laisse filer, tu n’as aucune motivation pour me répondre. Je suppose que, dans un sens ou dans l’autre, si cela t’est égal, je ferais mieux de le posséder tout de suite.

Je bondis sur mes pieds.

— Non ! criai-je en tendant la main d’un air implorant.

— Tu vas répondre à mes questions ?

Je n’avais pas le choix. J’acquiesçai.

— Bien. Maintenant pourquoi n’irions-nous pas discuter dans un endroit plus intime ?

Pour le moment, on ne pouvait pas trouver plus intime que mon appartement, bien que der Jäger ne le sache pas. Je n’espérais pas vraiment que quelqu’un ait entendu mes cris et ait appelé la police. Mes voisins de droite étaient partis en vacances et celui de gauche refusait d’admettre qu’il avait besoin d’un sonotone. J’étais toute seule.

— Je ferai tout ce que tu veux, dis-je en écartant les bras. Ne fais pas de mal à Brian. Il n’a rien à voir avec tout ça.

Je pense que les instincts machistes de Brian furent blessés par ma tentative de protection, mais der Jäger appuyait suffisamment sur la trachée de Brian pour que celui-ci puisse à peine respirer, encore moins protester.

— Ton inquiétude est touchante, dit der Jäger. Nous allons descendre au parking pour prendre ta voiture. Tu vas conduire et je m’installerai à l’arrière avec ton petit ami. Tu ne tenteras pas le moindre geste héroïque et tu ne parleras à personne. Est-ce que tout est parfaitement clair ?

J’acquiesçai avant de me diriger vers la table et mon sac à main. Le Taser me faisait signe depuis le sol, si terriblement tentant et proche et pourtant toujours trop loin.

— Reste où tu es ! aboya der Jäger.

— Il faut que je prenne mes clés de voiture, lui dis-je avec innocence.

Der Jäger se renfrogna.

— Avance très, très lentement et garde tes mains bien en vue. Prends les clés et laisse le reste.

Je m’exécutai, me déplaçant presque au ralenti. Je dus me rappeler de respirer de temps à autre. Mes doigts fourmillaient de prendre le Taser mais si je m’y aventurais, Brian était mort. Lugh cognait dans ma tête. Il savait que Brian était déjà mort, quoi qu’il arrive. Mais, bon sang, je n’allais pas laisser tomber avant que tout espoir soit perdu.

Tout espoir est perdu, me murmura une voix qui ressemblait de manière troublante à celle de Lugh. Je m’en débarrassai en secouant la tête.

Je défis soigneusement la fermeture Éclair sur le devant de mon sac avant d’ouvrir la poche en grand afin que der Jäger voie qu’elle ne contenait pas d’arme. Le cœur battant dans ma gorge, je sortis les clés et laissai retomber le sac sur la table.

La main serrant toujours le cou de Brian, der Jäger essuya le sang de son nez qui guérissait déjà lentement.

— Passe devant, m’ordonna-t-il.

Je m’exécutai.

Morgane Kingsley, Tome 2
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